Le retour à l’océan des cétacés décrypté par l’ADN

ÉVOLUTION -L’analyse de gènes inactivés chez les baleines, dauphins et marsouins actuels éclaire les mécanismes qui ont facilité le retour à la vie aquatique de leurs ancêtres mammifères quadrupèdes.
Par Vahé Ter Minassian Publié le 01 octobre 2019  dans le journal « LE MONDE »

Quelques cétacés descendant de mammifères quadrupèdes qui vivaient sur la terre ferme il y a 52 millions d’années. Carl Buell, @John Gatesy

Ce fut un épisode marquant de l’histoire de l’évolution. Un événement qui vit, voici 52 millions d’années, à l’époque de l’éocène, des cétacés primitifs abandonner la terre ferme au profit de la vie aquatique. Quels changements anatomiques, physiologiques ou comportementaux leur ont-ils permis de retourner dans cet habitat liquide, dont sont issus les ancêtres de toutes les créatures terrestres ? Quelles furent les étapes ?
En comparant les génomes de 62 espèces de mammifères actuels, une équipe germano-américaine affirme avoir réussi à trouver des indices. Matthias Huelsmann, du Max-Planck Institute of Molecular Cell Biology and Genetics à Dresde (Allemagne), et ses collègues ont découvert que les baleines, dauphins et autres cachalots modernes ont tous hérité, au niveau de leur ADN, d’un même ensemble de 85 gènes inactifs. Ils affirment, dans la revue Science Advances, non seulement que ces mutations étaient probablement déjà présentes chez leur ancêtre commun, mais également qu’elles pourraient expliquer certaines de leurs capacités de survie en milieu océanique !

Une part de mystère
Les cétacés ont longtemps eu leur part de mystère. « C’est seulement entre 1996 et 2010 que des études ADN impliquant certains des auteurs de cette nouvelle publication ont établi leur fort lien de parenté avec les hippopotames », rappelle Fabrice Lihoreau, paléontologue à l’université de Montpellier et codécouvreur, au Kenya, de l’Epirigenys, l’un des fossiles d’âge intermédiaire qui a permis de confirmer cette théorie.
Officiellement, l’histoire de ces artiodactyles débute, il y a 52 millions d’années, sur le sous-continent indien, avec un curieux quadrupède aux allures de loup : le Pakicetus. Ce dernier est remplacé, au bout de cinq millions d’années, par un habile nageur encore doté de pattes arrière qui, traversant l’océan, va rallier l’Afrique puis, de là, l’Amérique du Sud : le protocétidé. D’autres animaux, comme l’imposant basilosaure, suivront avant que, voici 37 millions d’années, les deux groupes actuels de cétacés apparaissent : les mysticètes (équipés de fanons et auxquels appartiennent les baleines) et les ondotocètes (à dents et qui regroupent notamment les cachalots, les dauphins et les marsouins).
Disparition des pattes postérieures, allongement du corps, épaississement de la peau, perte partielle de l’odorat…. De multiples transformations anatomiques et physiologiques sont intervenues entre-temps. Celles dont les traces sont visibles dans les fossiles n’ont toutefois pas permis de préciser la recette employée par les cétacés pour effectuer ce retour à la mer.
D’où l’intérêt des travaux de Mathias Huelsmann et de ses confrères. Ces biologistes ont commencé par rechercher dans les génomes de 62 espèces de mammifères terrestres et marins actuels des gènes qui, rendus inactifs, avaient cessé de produire leurs protéines. Puis ils ont répertorié, parmi ces 256 mutants, les 85 qui étaient uniquement présents dans l’ADN des cétacés. Avant enfin d’essayer de comprendre à quelles fonctions ces derniers étaient initialement attachés.

Le résultat ? Il est riche en perspectives, en permettant d’imaginer quels furent, voici 37 millions d’années, les caractères de l’animal à l’origine des baleines, cachalots, dauphins, orques et autres marsouins. Il montre aussi que, si cette perte de gènes a souvent été sans conséquence, elle a pu parfois favoriser l’adaptation.
Ainsi les chercheurs ont constaté la présence de plusieurs mutations avantageuses liées aux activités de plongée. Certaines ont limité chez les cétacés les risques de thrombose. D’autres ont doté leurs poumons d’une capacité à se recroqueviller. Une astuce employée par ces mammifères pour réduire leur flottabilité tout en évitant les blessures provoquées par les brusques changements de pression encaissés au moment des remontées. Autre découverte : le sommeil. Chez les baleines, dauphins et cachalots, ce dernier ne touche jamais les deux hémisphères cérébraux afin de garantir le maintien de l’activité de nage et de retour à la surface nécessaire à la thermorégulation et à la respiration. En observant l’inactivation des gènes associés à la synthèse de la mélatonine, l’hormone changée, chez l’homme, de la régulation du rythme circadien, l’équipe propose une nouvelle piste pour expliquer ce phénomène. Enfin ces biologistes présentent au moins un exemple de gène rendu inopérant en raison de sa probable inutilité dans cet environnement aqueux : celui impliqué dans la production salivaire.

Une étude inédite
« Cette étude est la première à démontrer de façon convaincante comment l’inactivation de certains gènes a contribué, au cours de la sélection naturelle, à l’adaptation des cétacés au milieu aquatique », indique Frédéric Delsuc, directeur de recherche CNRS à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (ISEM). « C’est un progrès important, estime de son coté Fabrice Lihoreau. La méthode employée permet d’accéder à des caractéristiques physiologiques de l’ancêtre des mysticètes et des ondotocètes. C’est inédit. Il serait néanmoins intéressant qu’elle puisse aussi apporter des informations d’ordre anatomique de façon à pouvoir confronter ses résultats aux observations réalisées sur les fossiles. Espérons que cela soit un jour possible. »

VAHÉ TER MINASSIAN

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